À tous les vrais orthodoxes, les défenseurs du Consensus.
Messieurs,
J’ose me flatter que, depuis que les traducteurs se sont avisés de dédier les productions d’autrui, personne n’a encore fait paraître plus de jugement que moi dans le choix des patrons dont ils s’est chargé de faire l’éloge. Dans ces temps-ci, les hérétiques s’attribuent le beau nom d’orthodoxes ; c’est une justice qui vous est due de reconnaître publiquement que ce nom n’appartient qu’à vous. Tandis que les autres hommes s’abandonnent à leur propre raison et s’écartent en plusieurs choses des sentiments de leurs pères, vous êtes en garde contre les illusions du bon sens et vous conservez un sage respect pour ce que vos maîtres vous ont enseigné. La paresse, sanctifiée par la modestie, vous engage à recevoir aveuglément toutes leurs décisions. Une humble défiance de vos lumières tient lieu d’infaillibilité à vos docteurs. S’ils ont assez examiné, pour eux-mêmes ou pour vous, les matières de la religion, vous signalez de votre côté votre reconnaissance envers eux en soutenant indifféremment tout ce qu’il leur a plus de vous dicter. Il n’est rien de plus louable que les emportements zélés que vous faites paraître pour la défense de toutes leurs opinions. Rien de plus charitable que les moyens où vous avez recours pour guérir les hommes d’une curiosité dangereuse. Quelles seraient les suites de la liberté de penser, si elle venait à s’introduire parmi nous ? Des maîtres qui sont depuis longtemps en possession de l’estime du public, perdraient une partie très considérable de cette estime dès aussitôt qu’on croirait reconnaître qu’il y a dans leurs sentences, de certaines choses qui ne sont pas appuyées sur des fondements assez solides. Le respect que l’on a pour la religion finirait en même temps que la vénération pour les ministres ; autant d’hommes, autant de sentiments différents ; rien ne serait capable de les réunir. Chacun veut être infaillible. La vérité n’a point de caractère sûr. Notre esprit aime l’erreur, et plus l’erreur est dangereuse, plus elle a de charmes pour lui. Après cela, comment oserait-on permettre aux hommes de suivre leur propre idée ? Cependant on ne néglige rien aujourd’hui pour rompre le sacré lien de l’orthodoxie. Mille machines dressées contre le Consensus doivent nous faire craindre pour ce bouclier de la foi. Comme chacun doit employer ses forces pour repousser les assauts des hérésies, quoique le plus chétif des orthodoxes, j’ai cru qu’il était de mon devoir de faire quelque chose pour soutenir vos bons desseins. J’ai compris que, si j’exposais à la vue du public l’Etendard de la vérité, je déconcerterais tous les combattants qui lui font la guerre. Je n’ai point douté que sa brillante lumière ne dissipât entièrement les nuages épais des préjugés et de l’erreur, et qu’ainsi nous ne vissions bientôt nos églises être à l’abri de l’orage qui les menace. Et parce que les esprits de notre siècle paraissent plus pesants que ceux du siècle passé, j’ai tâché d’éclairer par quelques remarques les endroits qui m’ont paru en avoir besoin ; si mon travail n’est pas inutile, tout l’honneur vous en sera dû. C’est le désir d’unir mes efforts aux vôtres qui m’a mis la plume à la main. Daignez jeter un œil favorable sur ma traduction ; je me croirai suffisamment dédommagé de mes peines.
Suite : La Formule du Consensus 1674
Publiée dans Histoire de l'Église de Genève depuis le Commencement de la Réformation jusqu'à nos jours. De Jean Pierre Gaberel. Tome troisième. Genève. Joël Cherbuliez et Jullien Frères. 1862.